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28 août 2023

N°152 une recette de Li Chou ZE

C’étaient les débuts d’une période de grande fraîcheur dans la Haute Contrée, du très haut même dans le haut de la Contrée. C’est dire que t’avais pas grand-chose à te mettre sous les molaires pour te réchauffer les arpions. Fallait plutôt compter sur une construction allégorique de joyeuses pitances façon Li Chou Ze pour donner du chatoyant dans la carcasse.

 

Ce matin-là, Li Chou Ze était parti très tôt. Le soleil n’avait pas encore retiré son bonnet de nuit. Les fêtards rentraient en titubant sur les pavés. Explosés à la vinasse du coin, ils n’avaient plus le sens du bien commun.

Pour elle, rien de tout cela. Le talon frappait le sol à une cadence rythmée par un cœur qui lui aussi battait fort. « Tellement envie d’être en haut » se disait Li Chou Ze. La décision de cette virée lui était venu dans la nuit. 

Une simple interrogation au milieu d’un roupillon qui était devenue une insomnie. Rien d’extraordinaire pour Li Chou Ze, elle s’adonnait facilement à ces temps de réflexion nocturne, refaisant le monde et ses alentours. Cette fois-ci, elle avait en tête la confection d’un nouveau dessert pour la carte de son établissement gastronomique. Comme à chaque fois, elle avait concocté sa recette de mémoire sans note écrite. Il s’agissait d’un empilement de saveurs sur un lit de fragrances. Certains auraient parlé d’un tout-venant acidulé explosant en bouche, que t’aurais les narines en apnée. Elle y travaillait depuis plusieurs nuits. Essayant à chaque fois d’associer un nouveau mets au mélange précédent ou en réduisant un arôme. Tout cela, les yeux grands ouverts, à visualiser sur le plafond de sa chambre les différentes associations qui défilaient comme des feux-follets un soir de pleine lune.

Et puis patatras… le trou, l’absence, le néant s’est installé au beau milieu de la nuit dernière. Où trouver la tige d’Alopée, puissante écorce racinaire qui devait donner l’explosivité finale au dessert. Cela serait la démonstration d’un coup de poing dans la glotte façon Mauricette aux premiers frémissements du lombric.

Sans attendre une éventuelle étincelle, un vague souvenir, elle s’était levée pour se rendre à sa bibliothèque.

Bien sûr, il ne s’agissait pas de l’imposante bibliothèque de Lao Ya Dureuz, somme des savoirs et un peu plus si t’as les quenottes dans l’ordre. Non, celle de Li Chou Ze était plus modeste et n’avait qu’une seule thématique : la cuisine, l’alimentation, les différents aliments de la terre et d’ailleurs…

Très vite elle trouva l’ouvrage, pensum à larges marges et fortes inspirations : « Racines et écorces, 1001 respirations ». Titre tout en rugueuses évocations. A la page 214, paragraphe 3, il était indiqué : « … l’Alopée, petite plante endémique que l’on trouvait sur les hauts plateaux de la Contrée. Une plante sèche qui avait besoin pour se développer avant sa pleine maturité d’une forte humidité … très rare… ». En ces temps de réchauffement, ça coinçait pour elle, ça craquelait sévère au sol ! La fin du paragraphe donnait un espoir à Li Chou Ze car certains observateurs avisés l’avaient aperçu au cours d’une de leurs sorties sur les hauteurs des Monts de la Contrée.

Sans attendre, elle prépara son sac et avant le lever du soleil, elle était sur le chemin. Elle connaissait toutes les traces et parapets qui sillonnaient le cœur de la Haute Contrée.

Au sommet de la Haute Contrée, il y avait les Monts, trois pics rocheux tout droit sorti d’un volcan ancien aujourd’hui éteint. Ses pentes étaient couvertes d’une fine couche de verdure sans prendre beaucoup de hauteur car le vent rabattait toute velléité d’élévation.

Après une marche d’approche à la mesure de sa détermination, en ligne droite accompagnée par les premiers rayons du soleil qui venaient s’éclater sur la rosée, elle arriva sur site.

Elle devait maintenant reprendre sa respiration et prendre tout son temps pour détailler chaque centimètre de cette terre aride. Il fallait l’œil avisé d’une experte des plantes. Toutefois, ses premières tentatives furent sans résultat. Il semblait que l’Alopée avait bien définitivement disparu. Un peu désabusée et triste, Li Chou Ze commençait à se résoudre à un retour bredouille.

Au loin un animal traversa un buisson chétif. Il s’arrêta et regarda Li Chou Ze.

Les yeux se croisèrent. L’animal tourna la tête vers un modeste buisson puis d’un saut brusque et souple il disparut.  Li Chou Ze s’empressa d’aller vers ce buisson aux tiges asséchées par le vent. Elle avait eu la bonne intuition, l’animal venait de lui montrer la cachette de l’Alopée.

La petite plante était bien là, fine racine dont émergeait une brassée de tiges à l’écorce brune et rugueuse. Voilà ce qui lui convenait pour sa recette, Li Chou Ze était contente d’avoir fait tout ce chemin. Pourtant, elle se demandait aussi si cela en valait la peine. L’article dans le livre avait bien précisé que l’Alopée était devenu rare après une phase intensive d’exploitation. Maintenant, il ne restait que quelques spécimens bien à l’écart des regards. Elle resta plusieurs minutes immobile à détailler la petite plante. 

Que faire ? Y’avait bataille au cœur d’une Li Chou Ze qui n’avait pas l’habitude du doute. Se souvenant de cet article court et instructif, elle se récita de mémoire le nota bene pour amateur de saveurs de l’Alopée. Il citait un grand érudit des goûts en ces termes : « si vous ne pouvez utiliser de l’Alopée – et c’est mieux ainsi – un broyage de fléandres vaporeuses pourra amplement la remplacer ».

La fléandre vaporeuse, voilà bien la solution pour Li Chou Ze, et cette plante ne manquait pas dans les jardins de la Haute Contrée. Sa décision fut prise, elle allait laisser l’Alopée bien à l’abris de regards et ne pas y toucher.

Elle regarda une dernière fois l’Alopée et rebroussa chemin pour retrouver son auberge. Sur les hauteurs, elle voyait l’animal la suivre. Pas inquiète, satisfaite de son choix, elle se disait que l’animal venait la saluer pour ce geste.

La fléandre vaporeuse est le fruit d’un grand arbre de la Haute Contrée. Modeste coquille entourée par une fine couche végétale, couleur ocre jaune, qui donne cet air vaporeux à l’ensemble. Il faut faire bouillir une grosse poignée de fléandres dans une grande marmite d’eau claire. Après avoir laissé refroidir, le tout est broyé pour obtenir une fine pâte soyeuse et liquide. Pour s’approcher de la texture de l’Alopée, les plus experts rajoutaient de l’huile d’arêtes de poisson-lune. Cela ne donnait pas de goût supplémentaire, le seul effet était d’allonger en bouche l’effet conjugué du sucré et du poivré, une sorte de retardataire naturelle sur les muqueuses. Li Chou Ze n’allait pas se servir de cet élément supplémentaire, elle s’en tenait à la recette initiale.

Dès son retour à son auberge, Li Chou Ze s’empressa de se lancer dans la confection de sa nouvelle pâtisserie.

La fléandre vaporeuse fut sa première intervention car cela demandait plus de temps. Après avoir obtenu la pâte souhaitée, elle travailla à la confection d’une croustille sèche, bloc de pâte aux épices dorées qui allait donner la forme du dessert. Puis elle réalisa des Boules d’efferlantes aux granulées de lamettes vertes, célèbre plante à haute tige de la Contrée. Cuites à la vapeur les lamettes gardaient leur couleur verte, et donneraient ce bon goût sucré, mielleux.

Le bloc de croustille sèche est ensuite tranché en fine portion. Des boules d’efferlantes au pigment rouge vif sont posées sur le jus saturé à la pâte de fléandres vaporeuses. Il fallait ensuite attendre que les boules plongent au fond du récipient signe que la métamorphose était achevée. Les boules s’étaient gorgé des arômes de la fléandre. Soigneusement, elle retira toutes les boules et dans un grand plat, elle les écrasa avec une spatule en bois. La pâte obtenu était rouge avec des reflets vert émeraude.

Li Chou Ze avait tout ce qui lui fallait pour réaliser son montage final. Elle avait prévu de faire goûter cette expérience culinaire à son grand ami, expert des sucreries et autres, Lao Ya Dureuz. Il était toujours prêt à déguster toutes les nouvelles inventions gustatives de Li Chou Ze. Il devait arriver en fin de journée. Elle avait donc juste le temps pour finaliser le dessert.

Le gâteau « croustille d’efferlantes » était composé d’une succession de plaques de croustille posées à la verticale et entre chaque plaque une nappe généreuse de pâte d’efferlantes. Il avait la forme d’une hélice à deux pales. Le tout fut saupoudré de sucre de miel et de tendres baies du jardin.  Comme elle le souhaitait, son dessert devait exprimé l’infini. L’absolu dans le goût sucré d’une pâtisserie qui reste sur en bouche bien plus longtemps qu’une simple déglutition. 

A l’heure prévue, telle la rosée d’un matin serein, Lao Ya Dureuz fit son apparition. Li Chou Ze était contente de le voir. Il allait goûter et lui dire si ce dessert avait toutes les qualités pour rejoindre la longue liste de sa carte des desserts, réputée dans toute la Haute Contrée.

Lao Ya Dureuz ne fut pas surpris de la raison de l’invitation de son amie. Le gâteau bien présenté l’attendait sur la table de la cuisine. Toutes les senteurs des différents ingrédients du gâteau avaient rempli la pièce et se complétaient dans une belle symbiose.

Le premier coup de fourchette devait être le bon. Li Chou Ze attendait le verdict en regardant l’expression de son ami. 

Que dire ? peu de mots peuvent résumer la confluence des goûts et des saveurs qui explosèrent en bouche. Que dire de l’impossible description des picotements acidulés qui venaient s’exploser en fond de palais… ? Lao Ya Dureuz resta un moment immobile savourant l’instant. Une perle de larme vint le chatouiller au coin de l’œil. Li Chou Ze la remarqua. C’était gagné, le signe évident que son gâteau était plus qu’un dessert, c’était une épopée culinaire. Elle se rappela l’animal, l’Alopée, sa randonnée matinale sur les Monts, il avait fallu tout cela pour aboutir à cette recette. 

Lao Ya Dureuz la remercia chaleureusement de cette invitation. Il n’avait pas dit grand-chose, comme à son habitude, mais sa mine réjoui en disait long sur son aventure.

Li Chou Ze mettrait ce dessert à sa carte, mais seulement pour les grands jours. La journée avait été longue et maintenant il était temps de se reposer. Elle n’allait pas tout de suite rêver à une nouvelle recette. Pour l’instant, elle fermait les yeux en pensant à l’Alopée, bien cachée au creux de ces roches, là-haut sous la bonne garde de l’animal. C’était bien ainsi.

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