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untourdansmacoquille
4 mars 2023

N°140 le songe théine

Le songe théine 

 

« Youyou !!! le mou du genou, réveil ! j’ai la mousseline qui trempe depuis une heure. Ça commence à sentir la mauvaise herbe qui s’composte. Faudrait voir à m’extirper de là. Un peu de respect !! ».

Lao Ya Dureuz, tout à sa méditation, ouvra un œil vertement secoué par les résonnances qui avaient traversé son doux cerveau. Qui lui parlait ainsi ? Qui s’occupait de sa digeste décoction préparée par Maître Dee Drouz ?  C’était le rituel du milieu de la matinée, la pause méditative face à la grande fenêtre de son bureau, il regardait les espaces boisés de la Haute Contrée et avait aussi son jardin en ligne de mire. Cet horizon l’enchantait.

Il regarda autour de lui… personne. Il se demanda si c’était encore une plaisanterie de Maître Dee Drouz ou Li Chou Ze, ils avaient l’habitude de ce genre de déviance humoristique pour garder Lao, l’immensité des horizons, en éveil.

Mais, ils n’étaient point-là. Lao se trouvait bien en solitude avancé dans sa vaste demeure que t’as les étages qui se répandent comme les larmes de Mauricette devant un confit de cétacé. 

« Coucou, c’est ça regarde bien autour de toi, mais vises un peu ta tasse, petite chose tout en bravasse. Je suis là ! »

Lao Ya Dureuz, en mode avisé et à l’arrêt, telle lapinou devant un faitout de carottes, regarda sa timbale d’eau jadis frémissante. Un malheureux sachet de thé faisait la planche au milieu d’un tiédasse liquide aux couleurs des automnes les plus frais.

« Bon maintenant t’ouvres tes grands yeux et tes esgourdes à pavillons expansés »

Lao resta coi…. Et c’est rien de le dire quand on connait le loustic des Hautes plaines de la Contrée. 

Le Lao, il avait de la répartie pour au moins deux traversées de calotte atmosphérique. Mais là, blocage des mandibules au programme, il arrivait pas à croire que cette voix venait de son sachet de thé…

Eh oui M’dame, c’était bien la réalité. Le sachet de thé lui faisait la causette et dans le laïus, fallait croire qu’y avait pas la joie sur fond de causerie. La pochette était plutôt du genre agitée dans sa douce mousseline filandreuse. 

Lao avait connu bien des aventures au cours de ses périples, mais c’était une première. Y’avait quoi se pincer toutes les ornières et not’Lao n’ouvra pas la bouche, il continuait, immobile, à examiner sa tasse, incrédule.

« Non, c’est pas croyable une telle attitude, du laxisme, Môssieur. Malgré ses grands airs, il respecte plus rien le grabataire. T’as devant toi le nec plus ultra du sachet de thé ».

Y’avait pas de discussion seulement un monologue soyeux qui s’évaporait au-dessus d’un récipient. Lao était troublé d’autant que le ton employé dudit ensaché était du genre fleuri dans le coutumier local.

L’incongru humidifié continuait de s’exciter, ça faisait des vaguelettes de théine.

« Le nec plus ultra, c’est ça que t’as devant toi, le nébuleux. Je viens du longue lignée de sachet. On se réincarne patiemment depuis des centaines d’années… Peu nombreux à avoir ce don. Mais de moins en moins à cause de foutus tocards, du genre qui laissent infuser trop longtemps dans le récipient aqueux » et là la Mauricette, elle perd ses os. « Dans ces conditions, môssieur, on se délite, on s’évapore, on se composte en version spongineux. C’est pas beau à voir et à humer pour les plus fragiles ». 

Il reprit son souffle en se pâmant sur un fonds d’Earl Grey.

« J’en ai vécu des mélanges et pas que des tendres. Faut voir que certaines pratiques frôlent la névrose herbeuse. On fait maintenant des mélanges que t’imagines même pas. La semaine dernière, j’étais embarqué sur un paquebot. Et pan, la bonne idée, un thé vert aux algues et aux herbacées du coin…temps de décoction 2 minutes. Tu vas pas le croire, l’infâme buveur m’a laissé dix minutes, j’avais l’maillage en perdition. J’ai connu aussi les grandes époques des thés noirs, bleus, blancs, rouges, aux épices, aux fleurs… y’a de tout et des fumés. Faut faire attention aussi aux produits dérivés, les tisanes et les courts-bouillons, une attaque frontale pour mousseline »

Lao regardait toujours sa tasse avec le sachet de thé qui n’arrêtait de bouger. Il entendait sa voix, mais il était incapable, et c’est rare d’exprimer une simple réflexion du genre « Whaou, y’a l’thé qui me parle !!! » Non pas un son ne sortait de la bouche de Lao…

« Mais tu vas pas me croire, ils ont encore des idées les intellectuels de la théine. Ils font des sachets vides… bon ça peut être sympa, j’ai essayé. On se détend tranquillement dans la boîte sans pression, mais on peut attendre longtemps sa biomasse et le résultat est pas toujours joyeux. T’as pas l’temps de faire connaissance que déjà t’infuses ». 

Lao se dit qu’il était d’abréger l’instant et qu’il en avait assez entendu sur les errements de l’ensachage. Il se disait qu’il avait certainement un grand besoin d’air. D’un geste ample dans le mouvement et tactile dans le toucher, il prit le sachet et le déposa sur le rebord de la coupelle de la tasse. Il entendit un grand « Ouf » de soulagement. Les diatribes du pochon se terminèrent derechef. Cela faisait du bien aux oreilles enluminées de Lao. 

Il put terminer sa boisson jusqu’à la dernière goutte, enfin il goûtait sa belle entame de journée.

Le sachet de thé, dans un dernier râle d’assèchement, poussa un cri sirupeux « Merci le goulayeux, et à la revoyure car la maison m’est bien sympathique. Faut pas changer le Earl Grey, il est parfait ». 

Et hop, Lao Ya Dureuz, l’immensité des plaines des Hautes Contrées, reprit sa contemplation, juste bien imbibé pour une bonne ronflette.  Koukou, les nénuphars.

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