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26 février 2022

les incontournables de Lao Ya Dureuz 120 L'attrape narine

L'attrape narine

Un fumet au loin titillait la narine inférieure d’un Lao Ya Dureuz pourtant en pleine vacance de sens. Il avait arpenté tout au long du jour les chemins de la Haute Contrée.  Il y avait des hauts et des bas, et cela se répétait régulièrement sans caresser les cimes. Il aimait les bas et surtout ceux qui le menait aux plus caverneux des profondeurs. La Contrée gardait ce petit quelque chose que t’avais derrière la molaire gauche après un petit rot. D’un pied sur l’autre il gambadait sur les chaussées terreuses d’une vague sente. Ça humait fort le musc façonné à la matelote. Les brumes d’une fin d’été empruntaient les canaux vertueux des collines du fief laodesque. Il contrôlait son pas empreint de cette fertile suavité qui attaquait ses sens. Chaque narine était maintenant débordée par une flagrance d’un fumet rare et entêtant. 

Il continua son chemin, ventre désossé jusqu’à une chaumière au creux d’une clairière tout aussi mal dégrossi. 

Il y existait nombre d’indigestes opuscules sur les nombreuses gargotes et autres auberges de la Haute Contrée. Tous les goûts étaient permis et à disposition des voyageurs à la mesure de leur capacité roborative. Lao Ya Dureuz depuis de longues années avait arrêté d’en faire le décompte et ne cherchait plus. Selon ses errances il trouvait toujours table à ses genoux et cuillère à mâchouiller. En dépit d’un bon coup de fourchette, il ne souhaitait pas se vautrer dans le bâfrement primaire. Ce fumet au loin le happait telle l’abeille devant le nectar d’une corolle à maturité – pas moyen d’embrayer un raisonnement. Tout est dans le primitif de l’infusé.

 Lao Ya Dureuz ne touchait plus terre en arrivant devant la porte boisée et finement décoré d’arabesques fleuries rehaussées de vermillon et de jade.

Les haltes gastronomiques du Grand Sachant ont déjà été maintes fois relayées dans les modestes recueils de votre humble biographe. Il est toutefois utile de s’y vautrer pour certaines d’entre elles.

Ainsi, en poussant cette porte et s’octroyant une vue des plus larges sur la vaste pièce, Lao Ya Dureuz distingua de nombreux convives, aussi peu vifs qu’une courgette dans un strudel. Chacun mangeait à son rythme, on entendait par petites touches les causeries délicates des tablées. Mais ce qui rendait le tableau si précieux et fabuleux c’était cette immense cheminée au large foyer rougissant. La braise maintenue à température venait léchée de nombreux petits plats en terre dans lequel mijotait des légumes, épices, et autres herbacées. Les diverses fumeroles se mélangeaient dans la pièce sans conflit, toutes en équilibre pour le bien de chacun. 

Lao Ya Dureuz prit place. Convive parmi les convives il fut servi du plat principal et unique. Ainsi pas de carte, pas de choix, l’usage voulait que le maître des lieux eût tous les droits sur les visiteurs et bienheureux ripailleurs.

Sur une large assiette de terre cuite, les légumes cuits étaient disposés avec leur jus sur une mince tranche de filet d’une volaille. Ce volatile plumé avait été préparé la veille dans un jus déshuilé à la vapeur d’une décoction florale. Coupé en fines lamelles, la viande gardait la tendresse d’une caresse prête à recevoir l’exaltation d’une fournée chaude de légumineux tout aussi colorée qu’un tableau printanier. Malgré la rudesse du découpage et la simplicité de la préparation, les légumes gardaient leur prestance originelle. Fermes, onctueux, et cuits à point, ils convenaient à toutes mastication qu’elles fussent édentées ou pas.

Il y existe des tableaux que l’on a envie de toucher pour savoir si c’est réel. Et puis, il arrive que l’on s’arrête devant une si belle chose que l’on puisse rien faire. 

Stoïque, pétrifiée comme la pierre statutaire d’un mausolée à la gloriole d’un nuisible, Lao Ya Dureuz regardait son assiette en admiration gustative. Tous ses sens étaient en effervescence et il ne pouvait bouger. Comment pourrait-il casser ce bel équilibre gastronomique ? 

Le temps passa comme la confusion de Mauricette devant une biche gratinée aux quatre fromages, trop peu certainement. La première bouchée fut, à raison, l’explosion prophétisée. Toutes les saveurs fusionnaient à chaque concassage. On ne comptait plus les arabesques parfumées si différentes à la veille de leurs rencontres. Une main experte, sensuelle, avait concocté cet dans un geste contrôlé ce doux assemblage. Il n’y avait ni rareté ni foison dans le complexe mélange des saveurs. Lao Ya Dureuz toujours avide de la connaissance souhaita rencontrer celui qui avait commis cette assiette. 

Fallait-il s’y attendre ? Une fois de plus, l’incalculable prêtresse de la sédimentation gastronomique avait fait un tour à Lao. Cette poétesse de l’art culinaire avait réussi à tendre ce piège gourmand. Un fumet si bien dosé, elle était sûre que le Grand Sachant n’aurait pas pu résister et serait venu ventre à terre se délecter. Li Chou Ze connaissait bien son ami, esthète de la bonne fourchette et méticuleux dans l’assaisonnement des filandreux. 

Elle avait pris la place en ce jour de la cuisinière attitrée et bienveillante du lieu. Les convives du moment étaient des habitués, bien contents de participer à cette belle surprise. 

Lao Ya Dureuz fut bien content de revoir Li Chou Ze toujours disposée à trouver de nouveaux paysages appétissants pour les muqueuses de ses invités. Elle avait réussi à réveiller l’indolent foisonnement des sens du Grand Sachant. Il avait terminé son assiette et fermant les yeux, il savourait cette vague déferlante d’aliments. Et c’était bon. 

Voilà en résumé le destin d’une petite balade champêtre, au coin d’une cheminée au foyer rougissant, Lao Ya Dureuz avait goûté l’instant d’une grande faveur offerte par son amie Li Chou Ze. Que dire maintenant, sinon refermer la porte de l’Auberge et regarder au loin les fumets qui s’échappent vers les nuages. Simplement.

Ken Tuch’ les glaneurs…

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