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untourdansmacoquille
9 septembre 2021

Les incontournables de Lao Ya Dureuz 113 - Froid Chaud

Froid Chaud

A la terrasse du « Platane », troquet sommaire de la Contrée, Lao Ya Dureuz lorgnait autour de lui avisant le monde. D’une si belle place, il y avait de quoi se remplir les mirettes. La contemplation n’avait pas de limite au coin de cette terrasse à l’abri du bel arbre. Il goûtait l’instant comme un sorbet deux boules sans chantilly, tout à la cuillère pour faire durer le plaisir. La représentation gagnait ses lettres dorées à la feuille douçâtre du divin végétal. Il y avait ce petit quelque chose qui en faisait ce moment de douceur sur fonds de rocaille. Le coin était connu des plus experts en quête d’aspérités. Car, il se racontait alors une historiette des plus tempérées que not’ immensité des hautes Contrées fertilisantes à la brasse voluptueuse maîtrisait dans ses moindres détails, façon loupiotte à Mauricette.

Il y avait un serveur en activité sur cette terrasse ; un serveur au regard froid qui, malgré les années, n’arrivait toujours pas à desserrer les lèvres pour commettre un sourire et comptait les mots au plus juste de la suffisance. Trop occupé à résoudre des énigmes de pierres tombales, il avait dû être passé à côté des convivialités de bon usage. Il gardait donc cet air emplâtré version dernière sommation avant plongeon dans le grand bassin avec les pieds bien enserrés dans un bloc de béton. Il importe de préciser que le béton doit s’armer de patience car il restera un temps certain dans l’eau saline de la baie. Et c’est mieux ainsi, car il est toujours désagréable au cours d’un déjeuner printanier en bord de mer de se retrouver avec un corps décharné en surface. (Digression cimentique de vot’dévoué biographe) …

Ainsi, le serveur prenait commande auprès des clients sans que quiconque ne se pose de question sur sa condition. Il était comme ça le serveur, un rustre qu’on oubliait bien vite après avoir décliné sa demande. Il faisait partie du paysage, comme le papier peint de la chambre du petit dernier. 

Le serveur posait son regard à vision dépeuplée sur le Grand Sachant et attendait. Rien de sensationnel, tout était consigné d’avance et chaque habitué du troquet du « Platane » avait les mentions légales de la commande. 

« Ce sera une eau plate, pour commencer », Lao se détendait les primo-labiales par cette simple gorgée, façon rosée de matins sereins. Pas la peine de se mettre les lourdes dans l’essoreuse, la journée venait de poser ses morpions à terre et c’était le moment de la légèreté. Sitôt déclinée, la commande devenait une injonction pour le serveur qui tournait ses talons et allait rejoindre son repaire derrière le comptoir. Il ressortait méthodiquement à chaque nouvel arrivé et s’enquérait avec la justesse d’une frappe chirurgicale des souhaits des clients. 

Lao Ya Dureuz, avisé abonné du Vieux Platane, s’en amusait. Notons, pour les plus outillés, que cette remarque sur l’amusement de not’Lao est tout-à-fait factice, car son immensité n’est pas équipé de toutes les cellules lui permettant de s’amuser. Notoirement, dans le concept de cet égaiement, il semble que l’on soit devant un pincement furtif en sacrum majeur sous cutané… rien de méchant mais il est vrai que cela peut dérider un sachet sous-vide. (Deuxième digression dans la risée de vot’dévoué biographe, nécessaire à la compréhension et surtout à l’évitement d’une interprétation erronée, façon Néron) …

Lao Ya Dureuz attendait maintenant la seconde manche de cet acte matinal. Du comptoir, la sensation d’un souffle d’air chaud se jaillissait en surface des muqueuses des colonnes vertébrales des clients, cela virevoltait entre les tables. La grâce d’un sourire sur un visage d’ange, un être frêle mais non fragile venait servir chaque table sans contrainte. C’était acidulé comme une pomme verte et frais comme la rosée. Cette jolie personne n’était qu’une ombre passagère qui frôlait chaque table en posant les diverses boissons sollicitées. Lao Ya Dureuz, malgré la connaissance intuitive des plus grands et des plus humbles, n’avait jamais réussi à déceler la moindre contrariété sur le visage de cette impassible sourire. Ce beau sourire était une silhouette peinte à la pastel dorée des grandes divinités ; elle devait être le résultat d’une hybridation cellulaire d’une fleur de printemps sous les premiers rayons de soleil. Il fallait faire vite pour l’apercevoir car sitôt le verre posé sur la table, la déesse disparaissait dans son tourbillon d’élégance. Il n’y avait pas moyen de la capter, de la maintenir immobile pour engager une simple conversation, un début de phrase, de sonorité conviviale, ou la quête d’un regard empli de ses yeux verts noisettes. Rien n’y faisait, la belle repartait sans jamais croiser le serveur d’outre-tombe.

Certains, des plus anciens de la Contrée, et très en phase avec la socquette à 45° distillée à la main, avaient bien un artifice à raconter sur ces deux personnages d’une scène mille fois répétées, serveurs du « Platane ». 

Ils ne seraient qu’une entité savamment composée de chaud et de froid. Faute de s’accorder, ils n’auraient pas réussi à se mélanger. Pour ne pas s’effacer définitivement vis-à-vis de l’autre, ils auraient décidé de continuer leur existence séparée, chacun dans sa mission de serveur, l’un pour prendre la commande, l’autre pour la servir. Ils ne pouvaient se montrer ensemble. 

« On est double face aux évènements de la vie. Il suffit de fermer les yeux et on voit apparaître l’être achevé avec sa dualité, à l’équilibre d’un double sentiment. Le puzzle de la vie est achevé. Mais très vite, au sifflement d’un modeste moineau, le charme se dissout et les yeux grands ouverts, chacun regagne sa carapace ».

Au détour d’un clignement d’œil, Lao Ya Dureuz engloutit sa dernière gorgée d’eau fraîche. Ken Tuch’ les p’tites pailles.

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